sillon-fictionnel/content/post/mon-oncle-d-australie.md
2024-04-30 11:23:46 +02:00

33 lines
4.7 KiB
Markdown
Raw Blame History

This file contains ambiguous Unicode characters

This file contains Unicode characters that might be confused with other characters. If you think that this is intentional, you can safely ignore this warning. Use the Escape button to reveal them.

+++
author = "sw00d"
title = "Mon oncle d'Australie"
date = "2024-04-30"
tags = [
"livre","critique", "chronique", "roman"
]
ISBN = "978-2246834731"
+++
_Un livre de François Garde_
« Que serait une famille sans secret de famille » (p. 159)
Dénouer un secret de famille si profondément enfoui dans une lignée quil ne se révèle que fortuitement, ça peut faire un bon livre. Loncle du grand-père de François Garde est parti en Australie, en 1900, ou plutôt… a été exilé, banni, ce qui est aussi partir, lenvie en moins.
Pourquoi ? Personne ne le sait. Comment, on ne peut que limaginer. Quest-il devenu ? Cest lhistoire dun roman. Cest une vie dans le blanc des cartes, et nous y avons déjà rencontré François Garde (« La Baleine dans tous ses états » et « Ce quil advint du sauvage blanc ») flânant en de lointaines latitudes. Le propre père du narrateur ce dernier aura la délicatesse dattendre sa disparition avant de publier son livre confiait avoir souvent rêvé à son oncle dAustralie. Pourtant, dans cette famille aisée, par les choses et par la culture, une telle disparition est extraordinaire : « Les nantis restent chez eux. Les gens heureux ne prennent pas lamer chemin de lexil » (p. 27). Par dépit, et nayant aucune bonne source, le romancier sort du bois et y laisse, pour un temps, la réalité familiale. Alors le livre commence par ce geste de démiurge que jai souvent eu de compléter la réalité en lécrivant, en inventant des pans inconnus dune histoire, dune biographie. Il mest même arrivé davoir limpulsion de réécrire la fin dun roman que javais trouvé trop triste (affreuse tentation heureusement avortée, qui mavait par exemple saisi à la fin de « Pour qui sonne le glas », de Hemingway ; jétais adolescent, je rencontrais un grand écrivain). Alors nous voilà partis pour lAustralie où débarque le jeune Marcel qui « doit oublier son goût méditerranéen pour les propos percutants et sonores, cesser de trop vouloir convaincre, accepter de sexcuser à tout instant et à tout propos, maîtriser lart de la litote et linachèvement. Nul napprécie les démonstrations brillantes et les paradoxes amusants qui faisaient, à Vaucluse, le sel des conversations. Ici, lénoncé de banalités manifeste non la balourdise, mais lappartenance à la communauté. Celui qui profère une évidence sabaisse et atteste ainsi de son humilité. Léloquence nest plus une vertu, mais une impudeur, voire un aveu de faiblesse. Aux antipodes, le silence est une rhétorique » (p. 88). Il y découvre « une vérité cruelle, réitérée soir et matin : lexil nest que le nom vindicatif de labsence » (p. 115).
![](/images/MonOncledAustralie.jpeg)
Cest ainsi que commence cette subtile exploration des frontières entre réalité, mythe et fiction familiale, comme si cette dernière pouvait réparer une injustice, un mensonge, une sentence… on ne sait encore, mais Garde convoqué par une « autorité sans visage » (p. 144) nous le dira.
La famille semble de celles pour lesquelles « léquilibre du monde, ou de la famille, […] revient au même » (p. 131) et on la découvre, au fil des générations, en suivant les questionnements sur la vérité, le moment de la dire, et aussi parfois sur la littérature, son pouvoir : « peut-il y avoir littérature sans au moins une once despérance ? » (p. 210) jai dit ailleurs ce que je pense de lespoir et de lespérance, je suis tenté de penser que non, elle ne peut pas.
Avant que de conclure, je dois dire que le titre, loncle dAustralie, évoque en moi une agréable sensation de familiarité, un écho avec le titre dun livre de Luis Sepúlveda, fauché par le Covid-19 en avril 2020, « Le Neveu dAmérique ». Cette autre histoire épique et haute en couleur dun chemin dexil à travers lAmérique cravatée par les dictatures, conclue par de lointaines retrouvailles familiales. Cest un petit livre que jai lu et relu lorsquil mest arrivé de nêtre pas au mieux et qui a ce pouvoir magique de toujours me remettre daplomb. Alors forcément, le titre du livre de Garde ma mis en bonne disposition.
« Nul ne peut négocier avec le temps souverain » (p. 141) nous dit François Garde, mais cest pourtant bien ce quil fait. Il construit, surtout. Un monument, un cénotaphe (monument élevé à la gloire dun mort qui a été enterré ailleurs ou na pas reçu de sépulture) à son aïeul oublié, un beau livre à un inconnu, rétablir le familier.
***
Mon oncle dAustralie
François Garde
Grasset, 238 p.
2024